Depuis l’installation des nouvelles autorités, on note un certain regain d’intérêt des médias à la question du handicap. Le groupe de presse Futur Média, à travers sa chaîne de télévision TFM, lui a consacré une série d’émissions, clôturée la semaine dernière par l’invitation du Président de la Fédération sénégalaise des Associations de Personnes handicapées (FSAPH) à l’émission Waref. Durant ce week-end, la RTS 1 a diffusion dans son JT de 20h, un excellent reportage sur les enfants atteints de trisomie 21, d’autisme et de déficience moteur et cérébrale. Un des parents interviewés, a déploré de manière générale l’insuffisance de la politique de l’Etat en matière de la prise en compte du handicap.
Les associations des personnes placent beaucoup d’espoir sur les nouveaux tenants du pouvoir et espèrent que cet intérêt subit des médias à la question du handicap les poussera à saisir la balle au rebond en vue de prendre les mesures nécessaires pour apporter une véritable rupture dans la mise en œuvre de la politique du handicap au Sénégal. Car, dans ce pays, on a l’impression de faire à chaque fois, un pas en avant et deux pas en arrière, concernant les personnes les handicapés.
Voilà un pays où ont été érigés les premiers centres de prise en charge d’enfants handicapés en Afrique de l’ouest, en l’occurrence le centre Talibou DABO de Grand Yoff à Dakar en 1981 et l’INEFJA de Thiès en 1982. Cependant, l’Etat peine toujours à assurer ne serait-ce qu’une insertion économique aux sortants de ces établissements. Ces derniers, après leur formation sont obligés pour la plupart, d’aller gonfler l’armée de mendiants dans les rues de Dakar et des grandes villes du pays.
Le rythme d’évolution de la prise en compte du handicap dans les politiques publiques est tellement lent et contraste fortement avec l’augmentation du nombre des personnes handicapées dans la population. Pourtant, on note partout dans le monde notamment dans les pays du Nord notamment, une nette amélioration des moyens de prise en charge de tous les types de handicap et une implication des personnes handicapées de plus en plus forte dans l’effort de développement du pays. Chez nous, c’est comme si les autorités étatiques font de la question du handicap un sujet de mobilisation politique pour attirer la sympathie des populations le temps d’une campagne électorale.
Avec une population de personnes handicapées estimée à 16,5% (OMS, mars 2023), le Sénégal a déjà mis en place un cadre juridique actif à travers notamment l’adoption de la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées (CIDPH) et la promulgation de la Loi d’orientation sociale relative à la promotion et la protection des droits des personnes handicapées en 2010. Toutefois, l’absence de dispositifs opérationnels matérialisés par des mesures et aménagements appropriés a plombé les efforts consentis.
Comment comprendre que plus de dix années après l’adoption de la Loi d’orientation sociale, qui avait suscité tant d’espoir auprès des personnes handicapées, que ces dernières ne puissent pas encore bénéficier de l’intégralité des avantages que leur confère la loi. A ce jour, sur les quinze (15) textes réglementaires prévus par les cinquante (50) articles qui composent ladite loi, seuls deux décrets d’application ont été pris. Il s’agit notamment du décret 2012-1038 du 2 octobre 2012 relatif aux commissions techniques chargées d’instruire les demandes de Carte d’Egalité des Chances (CEC) et de la promotion de l’éducation spéciale, et du décret relatif à la mise en œuvre du Programme national de Réadaptation à Base communautaire (PNRBC).
Encore que les conditions de délivrance de la CEC restent plus ou moins contraignantes pour certains types de handicap, parfois difficiles à établir. Elles ne sont pas non plus connues de tous, faute d’une campagne de sensibilisation adéquate. De même, le financement accordé à la RBC qui en est à sa deuxième phase est plus qu’insuffisant face aux nombreux défis à relever. D’ailleurs, la phase III n’est toujours pas financée et est presque complétement vidée de sa quintessence. Elle tourne autour de questions qui ne reflètent pas véritablement les besoins des personnes handicapées.
Aujourd’hui, force est de constater que malgré quelques réalisations, l’essentiel des mesures devant favoriser la participation au développement économique et social des personnes handicapées, ne sont pas mises en œuvre. Ces dernières représentent au Sénégal, 3 millions d’individus sur une population de 18 millions de personnes (OMS, mars 2023).
Pour une meilleure lisibilité des actions relatives au handicap, il importe d’avoir une claire compréhension du concept. En effet, deux modèles ont jusqu’ici guidé les actions des pouvoirs publics : le modèle médical considérant le handicap comme une affection à traiter, et le social axé sur l’élimination dans l’environnement des obstacles qui entravent la pleine participation des personnes en situation de handicap dans la société. Le moment est venu de changé de paradigme comme stipulé dans la Loi d’orientation sociale, en réfléchissant sur un troisième modèle prenant en compte les notions de diversité et de développement durable.
Autrement dit, les personnes handicapées restent en majorité confrontées à deux handicaps majeurs : l’exclusion et la pauvreté. C’est dire que l’accès aux services sociaux de base, à l’information, aux TICs, aux infrastructures, à l’emploi, entre autres, fait toujours défaut.
Par ailleurs, au-delà de la question du handicap, c’est la politique sociale de l’Etat qu’il faut revoir de fond en comble. Au niveau de l’administration, on note un émiettement institutionnel qui n’est pas favorable à une bonne coordination des interventions relatives à la politique de protection sociale. Trois départements ministériels se partagent les missions : le Ministère de la Santé et de l’Action sociale, et le nouveau Ministère de la Famille et des Solidarité qui hérite des missions de l’ex Ministère en charge du Développement communautaire, ainsi que le Ministère en charge de l’économie sociale et solidaire dédié notamment aux populations vulnérables dont font partie la plupart des personnes handicapées.
Fort de ce constat et en vue d’une approche inclusive, il faudra procéder à l’évaluation de l’application de la Loi d’orientation sociale. Déjà, la Fédération Sénégalaise des Associations de Personnes Handicapées (FSAPH), a identifié ses priorités pour l’amélioration de la situation de ses membres. Il s’agit notamment de la tenue du prochain conseil présidentiel sur le handicap et de la mise sur pied de la Haute Autorité chargée des questions du handicap comme recommandée dans la Loi d’orientation sociale.
L’érection de la Haute Autorité est aujourd’hui une urgence. Elle sera un organe de conseil auprès du Président de la République et aura un rôle de veille et d’alerte pour le respect des droits des personnes handicapées. Elle aura pour missions d’appuyer les efforts de l’Etat dans l’élaboration des politiques nationales et les stratégies sectorielles dans tous les domaines touchant le handicap. Ce qui lui permettra de formuler des avis et de proposer des réformes au Président de la République.
Si le gouvernement veut accélérer l’application de la Loi d’orientation sociale et l’effectivité des services liés à la carte d’égalité des chances, seule cette instance pourrait assurer la coordination et le suivi adéquats en rapport avec les départements ministériels et toute autre structure publique ou privée. En guise d’exemple, malgré la mise en service du TER depuis 3 ans et du BRT récemment, les personnes handicapées détentrices de la carte d’égalité des chances ne bénéficient d’aucune réduction de tarif. C’est également le cas concernant plusieurs autres services sociaux de base notamment la santé, l’éducation, etc.
Les personnes handicap souhaitent vivement la création de la Haute Autorité.
Kabir AÏDARA